Théorème de Bernstein sur les fonctions totalement monotones

Page d’aide sur l’homonymie

Pour les articles homonymes, voir Théorème de Bernstein.

Cet article est une ébauche concernant l’analyse.

Vous pouvez partager vos connaissances en l’améliorant (comment ?) selon les recommandations des projets correspondants.

En analyse fonctionnelle, une branche des mathématiques, le théorème de Bernstein[1] établit que toute fonction à valeurs réelles sur la demi-droite des réels positifs qui est totalement monotone est une combinaison (dans un cas important, une moyenne pondérée ou une espérance mathématique) d'exponentielles.

Énoncé

La « monotonie totale » d'une fonction f sur ]0, +∞[ signifie qu'elle est indéfiniment dérivable sur cet intervalle et que pour tout entier naturel n,

( 1 ) n d n d t n f 0 {\displaystyle (-1)^{n}{\mathrm {d} ^{n} \over \mathrm {d} t^{n}}f\geq 0} .

On dit aussi que f est complètement monotone sur ]0, +∞[[Note 1]. On dit qu'elle est complètement monotone sur [0, +∞[ si elle est de plus définie et continue à droite en 0.

La moyenne pondérée peut alors être caractérisée[2] :

Théorème — Une fonction f est complètement monotone sur ]0, +∞[ (resp. [0, +∞[) (si et) seulement s'il existe une fonction croissante (resp. croissante et bornée) g : [ 0 , + [ R {\displaystyle g:\left[0,+\infty \right[\to \mathbb {R} } [Note 2] telle que pour tout x > 0 (resp. x ≥ 0) :

f ( x ) = 0 e x t   d g ( t ) {\displaystyle f(x)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}~\mathrm {d} g(t)} [Note 3].

Dans un langage plus abstrait, le théorème caractérise les transformées de Laplace des mesures de Borel positives sur [0, +∞[[3]. Sous cette forme, il est connu sous le nom de théorème de Bernstein-Widder[4], ou de Hausdorff-Bernstein-Widder. Felix Hausdorff, dans sa solution au problème des moments, avait déjà caractérisé les suites complètement monotones.

Démonstration

Reformulons d'abord le théorème dans un langage plus contemporain, sans intégrale de Stieltjes. On va d'abord énoncer et démontrer le théorème avec la condition de continuité à droite en zéro ; on en déduira ensuite le cas général.

Théorème de Bernstein

Une fonction f {\displaystyle f} de R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}} dans R {\displaystyle \mathbb {R} } est totalement monotone (si et) seulement si c'est la transformée de Laplace d'une mesure borélienne positive finie sur R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}}  :

x R + f ( x ) = 0 e x t d ν ( t ) {\displaystyle \forall x\in \mathbb {R} _{+}\quad f(x)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \nu (t)} .

(Le « si » est immédiat.) Pour prouver le « seulement si », supposons f totalement monotone. L'hypothèse implique que pour tout entier naturel n, ( 1 ) n f ( n ) {\displaystyle (-1)^{n}f^{(n)}} est positive décroissante. Toutes les dérivées ont des limites en + {\displaystyle +\infty } , qu'on notera f ( n ) ( + ) {\displaystyle f^{(n)}(+\infty )} .

On démontre d'abord (élémentairement) que

x R + n N f ( x ) f ( + ) = 0 ϕ n ( x t ) d μ n ( t ) {\displaystyle \forall x\in \mathbb {R} _{+}\quad \forall n\in \mathbb {N} \quad f(x)-f(+\infty )=\int _{0}^{\infty }\phi _{n}(xt)\,\mathrm {d} \mu _{n}(t)} ,

ϕ n ( x ) = ( 1 x / n ) n 1 [ 0 , n ] ( x ) {\displaystyle \phi _{n}(x)=(1-x/n)^{n}\mathbb {1} _{[0,n]}(x)}

et μn est la mesure sur R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}} ayant pour densité (par rapport à la mesure de Lebesgue) la fonction positive t ( 1 ) n 1 ( n 1 ) ! ( n / t ) n f ( n + 1 ) ( n / t ) 1 t 2 {\displaystyle t\mapsto {\frac {(-1)^{n-1}}{(n-1)!}}(n/t)^{n}f^{(n+1)}(n/t){\frac {1}{t^{2}}}} .

Démonstration

Pour tout n > 0, par décroissance de ( 1 ) n f ( n ) = | f ( n ) | {\displaystyle (-1)^{n}f^{(n)}=\left|f^{(n)}\right|} ,

x > 0 | f ( n ) ( x ) | 2 x x / 2 x ( 1 ) n f ( n ) ( y ) d y = 2 x | f ( n 1 ) ( x ) f ( n 1 ) ( x / 2 ) | {\displaystyle \forall x>0\quad \left|f^{(n)}(x)\right|\leqslant {\frac {2}{x}}\int _{x/2}^{x}(-1)^{n}f^{(n)}(y)\,\mathrm {d} y={\frac {2}{x}}\left|f^{(n-1)}(x)-f^{(n-1)}(x/2)\right|} .

En particulier (pour n = 1) | f ( x ) | = x + 2 x o ( 1 ) = o ( 1 / x ) {\displaystyle \left|f'(x)\right|=_{x\to +\infty }{\frac {2}{x}}o(1)=o(1/x)} puis (par récurrence)

n > 0 | f ( n ) ( x ) | = x + o ( 1 / x n ) {\displaystyle \forall n>0\quad \left|{f^{(n)}(x)}\right|=_{x\to +\infty }o(1/x^{n})} .

Par ailleurs, pour tous x, a > 0, d'après la formule de Taylor avec reste intégral,

f ( x ) = f ( a ) + f ( a ) 1 ! ( x a ) + f ( 2 ) ( a ) 2 ! ( x a ) 2 + + f ( n ) ( a ) n ! ( x a ) n + a x f ( n + 1 ) ( y ) n ! ( x t ) n d y {\displaystyle f(x)=f(a)+{\frac {f'(a)}{1!}}(x-a)+{\frac {f^{(2)}(a)}{2!}}(x-a)^{2}+\cdots +{\frac {f^{(n)}(a)}{n!}}(x-a)^{n}+\int _{a}^{x}{\frac {f^{(n+1)}(y)}{n!}}(x-t)^{n}\,\mathrm {d} y} .

On déduit de ces deux points (en faisant tendre a vers +∞ puis en effectuant le changement de variable y = n / t {\displaystyle y=n/t} ) :

x > 0 f ( x ) f ( + ) = ( 1 ) n 1 n ! x ( y x ) n f ( n + 1 ) ( y ) d y = ( 1 ) n 1 ( n 1 ) ! 0 n / x ( 1 x t n ) n ( n / t ) n f ( n + 1 ) ( n / t ) 1 t 2 d t . {\displaystyle {\begin{aligned}\forall x>0\quad f(x)-f(+\infty )&={\frac {(-1)^{n-1}}{n!}}\int _{x}^{\infty }(y-x)^{n}f^{(n+1)}(y)\,\mathrm {d} y\\&={\frac {(-1)^{n-1}}{(n-1)!}}\int _{0}^{n/x}\left(1-{\frac {xt}{n}}\right)^{n}(n/t)^{n}f^{(n+1)}(n/t){\frac {1}{t^{2}}}\,\mathrm {d} t.\end{aligned}}}

On a donc bien :

x > 0 n N f ( x ) f ( + ) = 0 ϕ n ( x t ) d μ n ( t ) {\displaystyle \forall x>0\quad \forall n\in \mathbb {N} \quad f(x)-f(+\infty )=\int _{0}^{\infty }\phi _{n}(xt)\,\mathrm {d} \mu _{n}(t)} .

Par convergence monotone, cette égalité est encore vraie pour x = 0. Autrement dit :

f ( 0 ) f ( + ) = μ n ( R + ) {\displaystyle f(0)-f(+\infty )=\mu _{n}(\mathbb {R} _{+})} .

Toutes les μn ont donc pour norme R = f ( 0 ) f ( + ) {\displaystyle R=f(0)-f(+\infty )} dans l'espace des mesures de Radon finies sur R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}} , espace qui est le dual de l'espace C 0 {\displaystyle {\mathcal {C}}_{0}} des fonctions continues sur R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}} qui tendent vers 0 à l'infini, muni de la norme uniforme.

Dans ce dual muni de la topologie faible-*, la boule fermée B {\displaystyle B'} de centre 0 et de rayon R est séquentiellement compacte, car elle est à la fois compacte (théorème de Banach-Alaoglu) et métrisable (car C 0 {\displaystyle {\mathcal {C}}_{0}} est séparable). De la suite (μn), on peut donc extraire une sous-suite convergente ( μ n k ) {\displaystyle (\mu _{n_{k}})} . Notons μ {\displaystyle \mu } sa limite. Alors, f est la transformée de Laplace de la mesure

ν = f ( + ) δ 0 + μ {\displaystyle \nu =f(+\infty )\delta _{0}+\mu } ,

δ 0 {\displaystyle \delta _{0}} est la mesure de Dirac en 0.

Démonstration
  • Puisque μ n k μ {\displaystyle \mu _{n_{k}}\to \mu } *-faiblement,
    0 e x t d μ n k ( t ) 0 e x t d μ ( t ) {\displaystyle \int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \mu _{n_{k}}(t)\to \int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \mu (t)} .
  • Puisque la convergence de ϕ n ( u ) {\displaystyle \phi _{n}(u)} vers e u {\displaystyle \operatorname {e} ^{-u}} est uniforme sur R + {\displaystyle \mathbb {R} _{+}} [Note 4],
    | 0 ( ϕ n ( x t ) e x t ) d μ n ( t ) | R u ϕ n ( u ) e u 0 {\displaystyle \left|\int _{0}^{\infty }\left(\phi _{n}(xt)-\operatorname {e} ^{-xt}\right)\,\mathrm {d} \mu _{n}(t)\right|\leq R\left\|u\mapsto \phi _{n}(u)-\operatorname {e} ^{-u}\right\|_{\infty }\to 0} .

Par conséquent,

x R + f ( x ) = f ( + ) + 0 e x t d μ ( t ) = 0 e x t d ( f ( + ) δ 0 + μ ) ( t ) {\displaystyle \forall x\in \mathbb {R} _{+}\quad f(x)=f(+\infty )+\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \mu (t)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \left(f(+\infty )\delta _{0}+\mu \right)(t)} .

Si l'on abandonne l'hypothèse de continuité à droite en zéro pour f, l'équivalence reste vraie, mais seulement sur ]0, +∞[, et pour une mesure de Borel positive ν {\displaystyle \nu } pas forcément finie mais telle que toutes les mesures e a t d ν ( t ) , a > 0 {\displaystyle \operatorname {e} ^{-at}\mathrm {d} \nu (t),a>0} soient finies.

Démonstration

Pour tout réel a > 0 {\displaystyle a>0} , la fonction x f ( a + x ) {\displaystyle x\mapsto f(a+x)} vérifie les hypothèses du théorème démontré ci-dessus ; notons ν a {\displaystyle \nu _{a}} la mesure associée :

x 0 f ( a + x ) = 0 e x t d ν a ( t ) {\displaystyle \forall x\geqslant 0\quad f(a+x)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \nu _{a}(t)} .

Pour 0 < α < β {\displaystyle 0<\alpha <\beta } , on a alors :

x 0 0 e x t d ν β ( t ) = f ( β + x ) = f ( α + β α + x ) = 0 e ( β α + x ) t d ν α ( t ) {\displaystyle \forall x\geqslant 0\quad \int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \nu _{\beta }(t)=f(\beta +x)=f(\alpha +\beta -\alpha +x)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-(\beta -\alpha +x)t}\,\mathrm {d} \nu _{\alpha }(t)} .

Comme la transformation de Laplace des mesures est injective, on en déduit que pour tous réels α , β > 0 {\displaystyle \alpha ,\beta >0} , ν β {\displaystyle \nu _{\beta }} admet pour densité t e ( β α ) t {\displaystyle t\mapsto \operatorname {e} ^{-(\beta -\alpha )t}} par rapport à ν α {\displaystyle \nu _{\alpha }} . Il existe donc une mesure de Borel ν {\displaystyle \nu } (unique) de densité t e a t {\displaystyle t\mapsto \operatorname {e} ^{at}} par rapport à ν a {\displaystyle \nu _{a}} pour tout a > 0 {\displaystyle a>0} , si bien que

x > 0 f ( x ) = 0 e 0 t d ν x ( t ) = 0 e x t d ν ( t ) {\displaystyle \forall x>0\quad f(x)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-0t}\,\mathrm {d} \nu _{x}(t)=\int _{0}^{\infty }\operatorname {e} ^{-xt}\,\mathrm {d} \nu (t)} 
.

Remarquons que la démonstration ci-dessus prouve de surcroît que les valeurs d'une fonction totalement monotone sur [a, +∞[ pour a > 0 déterminent la fonction sur tout ]0, +∞[. Cette rigidité est à rapprocher de l'analyticité des fonctions absolument monotones.

On peut donner une autre interprétation au théorème, au moins dans le cas où la fonction est continue à droite en 0 : on peut alors montrer que l'ensemble des fonctions totalement monotones telles que f(0) = 1 est convexe (c'est trivial) et compact pour la topologie de la convergence simple. Les exponentielles à exposant négatif sont les points extrémaux de ce compact convexe, et le théorème de Bernstein traduit la représentation intégrale de Choquet. On trouvera les détails dans le livre de Peter Lax[5].

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Bernstein's theorem on monotone functions » (voir la liste des auteurs).

Notes

  1. Une fonction f est donc complètement monotone si et seulement si la fonction x f ( x ) {\displaystyle x\mapsto f(-x)} est « absolument monotone », c.-à-d. a toutes ses dérivées positives (Widder 1946, p. 145).
  2. Autrement dit : une fonction de répartition d'une mesure de Borel positive (resp. positive et finie) sur [0, +∞[.
  3. L'intégrale est une intégrale de Stieltjes (g est croissante donc à variation bornée).
  4. C'est un exercice classique ; la démonstration la plus rapide utilise le premier théorème de Dini, en montrant d'abord que la suite est croissante.

Références

  1. S. N. Bernstein, « Sur les fonctions absolument monotones », dans Acta Math., 1928, p. 1-66 (lire en ligne).
  2. (en) David Vernon Widder, The Laplace Transform, PUP, , 2e éd. (1re éd. 1941) (lire en ligne), p. 160-163, th. 12.a et 12.b.
  3. Christiane Cocozza-Thivent, Processus stochastiques et fiabilité des systèmes, Springer, (lire en ligne), p. 397.
  4. (en) Marcelo G. Cruz, Gareth W. Peters et Pavel V. Shevchenko, Fundamental Aspects of Operational Risk and Insurance Analytics, Wiley, (lire en ligne), p. 439.
  5. (en) Peter D. Lax, Functional Analysis, Wiley, (lire en ligne), p. 137.

Liens externes

  • « Un problème de concours (1998, MP, math1) sur les fonctions absolument monotones et complètement monotones », sur concours-centrale-supelec.fr et Michel Stainer, « son corrigé »
  • (en) Djalil Chafaï, « The Bernstein theorem on completely monotone functions »,
  • (en) Eric W. Weisstein, « Completely Monotonic Function », sur MathWorld
  • icône décorative Portail de l'analyse